Par Catherine Durandin, directrice de recherche à l’IRIS
Il est possible de décrire la république de Moldova, plus de quatre millions d’habitants dont 1 million de travailleurs à l’étranger, en déclinant les ni : ni russe, ni roumaine, ni européenne. L’on pourrait tout aussi bien accumuler les et : la Moldavie parle roumain et russe et anglais et français… La Moldavie vit en paix, mais traîne un conflit dit gelé : la Transnistrie, largement russophone, est en sécession depuis 1992, des troupes ex-soviétiques stationnent sur ce territoire dont on ne sait quel sera l’avenir… La constitution de la République de Moldavie datant de 1994 en fait un pays neutre, mais agents économiques russes et acteurs du « soft power » américain sont fortement présents. Dénuée de ressources énergétiques, avec une agriculture ruinée depuis l’indépendance de 1991 qui l’a sortie de l’ex-URSS, la Moldavie pauvre gère une économie de dépendance renflouée par l’apport des euros et dollars venus de ses émigrés.
Le pays est confronté à un débat idéologique et politique où se heurtent trois tendances : le pro « roumanisme » et via la Roumanie, un ancrage européen, le pro russisme et via la sphère orientale, une solidarité avec la Russie et l’Ukraine, le neutralisme et pour les jeunes intellectuels, une aspiration à fonder une nation politique citoyenne à partir des vingt dernières années, prenant en compte au-delà de ces vingt ans, l’expérience historique spécifique. Les élections législatives et présidentielles, dans un système parlementaire, sont prévues pour le printemps 2009. Mais, globalement, la population tout comme en Roumanie voisine, n’accorde plus sa confiance aux politiques.
La fracture de 1991/1992
C’est dans un climat romantique de retour à la Roumanie que la république soviétique de Moldavie s’est voulue indépendante de Moscou en 1991. Dès 1989, la langue roumaine écrite en alphabets latins avait été revendiquée, abolissant l’alphabet cyrillique imposé par la Russie puis l’URSS en 1945. Le mouvement de libération a mobilisé la partie ex roumaine de la Moldavie soviétique, occupée par l’URSS en 1944. Le mouvement romantique patriotique pro roumain, par anti-soviétisme, portait ses regards vers Bucarest et caressait l’idée d’une réunion Moldavie/ Roumanie. C’était sans mesurer que la Roumanie, ayant éliminé le régime des Ceausescu, avait élu en 1990 et re-élu en 1992, Ion Iliescu : en « gorbatchevien » peu à peu converti à la sociale démocratie, Ion Iliescu n’a jamais prétendu annexer une ex république soviétique. Les opposants démocrates et libéraux à Iliescu, de leur côté, voyaient en la Moldavie un pays frère certes, mais soviétisé, et lourd d’une large population russophone, suspecte. Le rêve unioniste a été de courte durée mais ce projet a soulevé l’inquiétude des russophones, attachés à l’ex république soviétique fondée en 1924 par Moscou au-delà du Dniestr, qui ont fait sécession au printemps 1992, pris les armes avec l’appui de forces russes conduites par le général Lebed. Ils ont constitué une Transnistrie auto proclamée, conservé un régime oligarque pro russe. Depuis 1992, Moscou, Tiraspol en Transnistrie, Chisinau pour la Moldavie, l’OSCE, Washington et l’UE se sont penchés sur cette question sans aboutir à un accord ! En 1999, la Russie a annoncé le retrait de ses forces armées, et n’a pas bougé depuis. La Transnistrie fait figure de vitrine/musée de l’URSS avec une capitale d’architecture colossale soviétique, un comité central entouré de panneaux et de grandes photographies raides, portraits des héros de la seconde guerre mondiale et des bons camarades des coopératives ou entreprises d’aujourd’hui.
Le conflit est gelé : pas de fracture entre les populations d’un côté et de l’autre du Dniestr. Pas de fracture ethnique entre des populations mélangées, russes, roumaines, ukrainiennes, pas de fracture linguistique entre des locuteurs roumanophones et russophones entre les deux rives, pas de fossé religieux entre deux espaces orthodoxes. L’on va et vient d’une rive à l’autre du Dniestr en franchissant un check point. La coupure n’est pas d’ordre socio-culturel, elle réside dans la volonté du gouvernement de Tiraspol de ne pas accepter l’autorité de Chisinau et dans le refus de Chisinau d’accepter une fédération « russisante » aux côtés de Tiraspol. (...)
C’est l’économie, stupide…
Le règlement du statut futur de la Transnistrie préoccupe moins la population que l’extrême pauvreté et la dépendance : la Moldavie dépend complètement de la bonne volonté russe et de l’Ukraine pour son approvisionnement énergétique. Que Gazprom réclame le remboursement des dettes de Chisinau, et le pays risque d’être plongé dans le froid et le noir. Les exportations de vin moldave sont elles aussi liées au jeu des tarifs douaniers imposés par la Russie. La Roumanie, intégrée dans l’UE en janvier 2007, a établi une politique de visas à sa frontière avec la Moldavie qui incite les habitants à circuler dans l’espace ex soviétique : 200 000 moldaves travaillent en Russie, dans la construction essentiellement, et sont déjà touchés par les restrictions d’emploi : ils rentrent… Les Moldaves travaillant en Espagne dans l’agriculture sont frappés par la compétition avec les autres mains d’œuvre venues de Roumanie ou du Maghreb. Les investissements des Moldaves de l’étranger se portent vers la construction ou vers des bulles spéculatives bancaires et laissent de côté une agriculture déjà très affectée par le départ des jeunes. (articol complet aici)